Choisis par des guides spirituels pour aider les âmes des défunts qui ne parviennent pas à franchir le seuil de l’au-delà, à quitter ce monde pour poursuivre leur voyage, les « passeurs d’âmes » représentent en France un groupe nombreux et en expansion. D’âges variés et provenant de milieux différents, ils se définissent aussi comme « travailleurs de lumière » et appellent « soins spirituels » leur action d’aide aux gens dont la vie serait difficile à cause de l’âme d’un défunt qui ne peut ou ne veut pas quitter les lieux de son parcours terrestre. Ce dispositif socio-culturel contemporain se revendique par ses acteurs-mêmes en tant qu’autonome et sans continuité avec les expériences thérapeutiques et de contact avec le non visible communes aux mondes ruraux du passé, liées néanmoins aux figures des guérisseurs, rebouteux et d’autres protagonistes d’une offre variée de soins alternatifs à la médecine officielle. Selon eux il ne s’agirait pas non plus d’une variante du spiritisme. À un moment donné de leur vie, certaines personnes comprennent par des signes qu’elles sont à mêmes d’aider les âmes à « passer dans la lumière », mais d’ici à devenir passeur-(se) il faut un choix libre, lié à la volonté d’avoir des contacts réguliers voire journaliers avec le monde des défunts. Franchir les seuils entre la vie et la mort a représenté un moment crucial pour les peuples de toute époque. Autour de cet événement se concentrent les croyances et les pratiques le plus variées. Mourir est un acte - ou un processus d’après les croyances d’une continuité de la vie outre la mort – à la fois privé et public, individuel et collectif, qui marque toute société par sa force mythopoïétique et d’institution de rites. La relation au moment ultime de la vie sur terre demande des actions visant à apaiser le deuil des survivants, d’un côté, mais aussi à neutraliser le potentiel destructif que la mort porte en soi et à endiguer sa contagion. Le réseau social et communautaire de solidarité culturelle et rituelle face à la dissolution du groupe, n’assure pas pour autant le salut définitif. Les forces du désordre tendent toujours leurs embuscades. Les dispositifs de protection présentent toujours des brèches. Et les humains sont constamment appelés à engager d’exténuants combats afin de freiner la descente dans le ravin de la mort. Le rôle des passeurs d’âmes s’inscrit dans cette dimension de solidarité : les mots les plus récurrents dans leurs milieux appartiennent au registre de l’amour, de la compassion, de la solidarité. Une triple guérison se configure dans l’action des passeurs. Trois types d’acteurs différents et liés en sont concernés : le passeur même, les survivants, les défunts, dans un processus de guérison métahistorique qui franchit les seuils du temps et de l’espace. Le passage devient ainsi une forme de thérapie qui n’a pas de limites temporelles.

Cette conférence est organisée dans le cadre du Cycle de conférences «Savoirs désenclavés» avec le soutien du SEFRI à la collaboration entre l’Université de Fribourg et l’Institut d’études avancées de Nantes.