Qu’il se dise «ego» (Descartes), «moi» (Pascal) ou «self» (Locke), le «soi» est au centre de la perspective qui caractérise la philosophie moderne. Parler d’identité, de liberté, de dignité, c’est parler du soi comme du fondement indubitable des actes qu’il pose. Et pourtant, à peine formulée, cette caractérisation se voit relativisée. Locke fait de la conscience le lieu du soi. Hume ne trouve plus dans le «self» que le théâtre de ses représentations. Et pour Pascal, «le moi est haïssable». Du soi substance au soi néant (Sartre), ce qui tient lieu de notre identité personnelle échappe à l’emprise conceptuelle. Pour accéder à soi, il faut emprunter une autre voie : celle de la narrativité. Il s’agit non pas d’abord de définir, mais de décrire, déplier et raconter sa vie. La nôtre, mais aussi la vie de ceux qui entrent dans notre histoire. Qu’apporte l’identité narrative aux apories de la question du soi ? En prenant pour fil conducteur l’exemple de l’Apologia pro vita sua de John Henry Newman, nous verrons qu’elle permet de répondre à l’une des questions fondamentales de l’éthique aujourd’hui : faire droit à la place de l’autre dans la constitution de l’identité personnelle.