L’un des enjeux historiographiques contemporains en histoire coloniale est, à rebours d’une histoire écrite « du point de vue des vainqueurs », de tâcher de produire une « histoire à parts égales » (Bertrand, 2011) qui puisse faire entendre la voix des colonisés au même titre ou tout autant que celles des colonisateurs. La tâche n’est pas toujours aisée, en effet les
sources dont nous disposons sont majoritairement le produit des institutions administratives coloniales, ou de scripteurs européens, et les voix des colonisés sont bien souvent rendues muettes. Et c’est particulièrement le cas en Afrique sub-saharienne, où le médium écrit était quasi exclusivement utilisé par l’appareil colonial, dans un contexte où localement les
recours et les maîtrises de la littératie étaient faibles ou le fait d’une toute petite catégorie de la population (élite traditionnelle ou élite intermédiaire produite par le système colonial).
Une façon de procéder est de lire les archives à rebours (against the grain, selon la proposition de l’historienne Ann Stoler, 2009), à la recherche de voix africaines, en étant sensible à la façon dont ces voix sont médiatisées. Une autre est de s’intéresser aux
textes produits notamment par ces élites intermédiaires, utilisant les ressources de la littératie en langue européenne, à des usages propres.
A partir de l’analyse de différents documents, le propos de cette conférence est d’exemplifier la façon dont, dans une perspective ancrée dans les sciences sociales du langage, on peut procéder à cette lecture à rebours des archives coloniales françaises. En outre, il s’agit de montrer ce que cela nous apprend de la façon dont la parole « indigène » a pu être rendue
inaudible dans les archives coloniales et la manière, en retour, dont certains acteurs africains ont tâché de regagner en agentivité en rendant audible leur voix.