Des changements de paradigme importants dans la gestion du travail sont observables depuis quelques années. Les savoir-être au travail supplantent de plus en plus les savoir-faire. Les dysfonctionnements organisationnels s’expliquent principalement par des comportements individuels trop ou pas assez réceptifs – et donc fautifs ? – , et non plus par des analyses structurelles. « Être heureux » n’est plus un libre ressenti, mais s’est transformé en une injonction.
Autant de transformations qui démontrent une tendance à positionner au coeur des sphères professionnelles, l’enjeu des émotions au travail. Elles sont tantôt décrétées, voire prescrites dans certains guidelines ou standards professionnels (sourire et transmettre sa joie au client par téléphone par exemple) ou interdites dans d’autres.
L’idéal d’un Être de raison, se pliant aux attentes organisationnelles jusque dans le façonnement de ses affects, est aujourd’hui un des enjeux problématiques de la santé au travail. Que l’entreprise s’immisce dans le contrôle, la neutralisation, la conformation et l’orientation des émotions de ses salarié.e.s interpelle sur la qualité accordée aux individus, mais surtout peut présager de l’émergence d’une forme de déshumanisation des acteur.e.s au travail.
Alors que tout doit être recalibré à l’aune d’une psychologisation positive – c’est le constat des discours proposés au sein des entreprises pour « gérer » le stress ou les conflits –, les problématiques de santé au travail, et particulièrement celles en lien avec le psychisme, n’ont jamais été aussi présentes. Vouloir tout euphoriser et positiver, ne serait-ce pas in fine un artefact idéologique au mal-être réel ? Un masque travestissant la souffrance au travail face à certaines dérives managériales ?